Et si la prochaine avant-garde ne sortait pas des ateliers, mais des algorithmes ?

Depuis toujours, l’art est un miroir de son époque. Il reflète les luttes, les sensibilités, les révolutions techniques. Après la photographie, le numérique, les NFT, une nouvelle ère s’ouvre : celle du data art, ou comment les données deviennent matière première de création. C’est à la fois fascinant, vertigineux et profondément politique.

Créer avec des algorithmes, ou contre eux

Face à l’explosion des intelligences artificielles génératives, certains crient à la mort de la créativité humaine. Mais ce serait oublier que l’art s’est toujours réinventé avec la technique. Le pinceau n’a pas tué le fusain, l’appareil photo n’a pas tué la peinture. L’enjeu n’est pas de choisir entre l’humain et la machine, mais de savoir ce que l’on crée, pourquoi, et avec quelles données.

Car les modèles génératifs n’inventent rien. Ils recombinent, ils extrapolent, ils amplifient. Et ce qu’ils amplifient dépend des données qu’on leur donne : des images du passé, des textes du présent, des biais souvent invisibles. Créer à partir de données, c’est donc faire des choix. Des choix esthétiques, bien sûr. Mais aussi éthiques.

Quand l’intime devient matériau

De plus en plus d’artistes utilisent leurs propres données, de santé, de géolocalisation, de réseaux sociaux, pour en faire des œuvres. Des battements de cœur deviennent des partitions. Des historiques de navigation deviennent des tableaux. C’est une forme d’art profondément ancrée dans le réel, à la fois intime et universelle.

Mais cela soulève aussi une question brûlante : à qui appartiennent les données ? Si un artiste peut s’en emparer pour les détourner, les réinterpréter, pourquoi une entreprise aurait-elle le droit de les exploiter sans consentement pour entraîner une IA ou influencer nos choix ? L’ère du data art nous oblige à redéfinir les frontières entre expression, exploitation et exposition.

Une révolution à accompagner, pas à subir

Cette révolution est déjà en cours. Et comme toute révolution, elle peut libérer ou enfermer. Elle peut ouvrir l’accès à la création, ou renforcer l’homogénéité. Elle peut être un outil d’émancipation ou une machine à reproduire les stéréotypes. Cela dépendra de celles et ceux qui codent, qui forment, qui éduquent, qui régulent – mais aussi de celles et ceux qui créent.

Nous devons apprendre à lire les images générées comme on lit un texte : en cherchant ce qu’elles disent, ce qu’elles cachent, et ce qu’elles révèlent sur notre époque. Nous devons défendre une IA au service de la création, pas du clic. Et surtout, nous devons garder une exigence : que l’art reste un espace de liberté, même à l’heure des données.

Parce que la donnée n’est pas neutre. Parce que la création ne devrait jamais l’être non plus.
Et parce que, dans ce dialogue entre l’humain et l’algorithme, c’est notre sens du beau, du vrai, du juste qui est en jeu.