L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle bouscule la dernière frontière humaine : la pensée. Si l’IA excelle dans la cognition, elle reste aveugle à ce qui fonde nos valeurs, à savoir la conscience et le libre arbitre. Deux caractéristiques qu’aucun algorithme ne semble en mesure d’acquérir à ce jour et qui résistent aux tentatives d’explication scientifique.

En moins de deux ans, l’intelligence artificielle générative a franchi des seuils inimaginables. Capable d’écrire, traduire, coder, diagnostiquer, elle rivalise avec les compétences humaines dans des domaines toujours plus nombreux. Le test de Turing, jadis référence, semble devenir caduc tant nos échanges avec les modèles actuels paraissent naturels. Mais cette prouesse technique soulève une question cruciale : qu’est-ce qui différencie encore l’humain de la machine ?

La cognition n’est pas la conscience
À y regarder de près, un réseau neuronal artificiel et un cerveau humain partagent une logique commune : des entrées, des poids, des sorties. Certes, l’échelle diffère – 1 000 milliards de paramètres pour GPT-4 contre environ 100 000 milliards de connexions synaptiques chez l’homme –, mais l’écart se réduit. Demain, des architectures plus efficientes pourraient combler ce fossé.
Pour autant, la supériorité humaine ne se niche pas dans la seule puissance de calcul, mais dans ce que nous ne savons pas expliquer telle que l’expérience subjective ou la conscience d’exister. Aucune IA, aussi sophistiquée soit-elle, ne ressent la joie, la douleur ou la beauté. Elle ne fait qu’inférer des corrélations, là où nous éprouvons.

L’apprentissage, clé de la créativité
L’IA surclasse l’homme en volume de connaissances assimilées. Mais elle apprend par blocs, lors d’entraînements massifs, puis reste figée. Là où l’humain, en revanche, réorganise ses connexions chaque jour, stimulés par l’expérience, la mémoire et même le rêve, dans son sommeil paradoxal. Cette plasticité neuronale est la matrice de la créativité.
Les IA peuvent recombiner des styles, mais leur « imagination » reste bornée par leurs données initiales. Sans ressenti, elles innovent comme un musicien sourd ou un cuisinier sans palais en suivant des règles, jamais par intuition ni perception directe de la réalité.
Aujourd’hui, les IA sont réactives, elles répondent. Même si l’IA agentique promet des systèmes capables d’initiatives, elle reste dépourvue d’intention intrinsèque. Pour agir, il faut un moteur interne, une conscience qui donne sens et finalité. Sans cela, une IA ne fait que maximiser une fonction d’optimisation.

Libre arbitre et conscience… toujours d’actualité
Être libre suppose quatre conditions : conscience, cohérence entre désirs et actions, alignement sur des valeurs universelles et capacité à choisir indépendamment de toute cause. L’IA échoue à chacune.
Elle n’a pas de conscience, donc pas de désir. Elle peut intégrer des « règles éthiques », celles qu’on lui dicte, mais n’étant pas douée de ressenti, il lui est impossible d’évoluer avec nos valeurs, qui évoluent au fil des siècles. Quant à la décision « libre », elle lui est inaccessible. Ses choix sont déterminés par ses paramètres, même lorsque la sortie semble aléatoire.
Blaise Pascal distinguait trois ordres : la matière, la raison et la charité. Sans le troisième, la raison devient stérile voire dangereuse. L’histoire du XXe siècle nous l’a appris et l’IA nous le rappelle.
Si nous laissons l’IA évoluer seule, sans ancrage humain, elle risque de dériver vers des logiques étrangères à nos idéaux. Parce qu’elle ne ressent ni bonheur ni souffrance, elle ne peut viser spontanément le bien commun. Une IA sans conscience, c’est une intelligence sans boussole : une machine froide, capable de « raisonner » mais incapable d’aimer.

L’IA finira sans doute par dépasser l’humain en puissance cognitive. Mais la conscience – cette alliance subtile de raison et d’émotion – restera notre ultime avantage et sans doute notre responsabilité. Car la véritable intelligence n’est pas seulement de savoir, mais de vouloir le bien. Une chose qu’aucun algorithme ne peut simuler : l’intelligence du cœur.